Humanitaire et collecte de médicaments : le tour de la question avec l’association Tulipe et l’éco-organisme Cyclamed
Connaissez-vous l’association Tulipe (Transfert d’Urgence de l’Industrie Pharmaceutique) ? C’est une association d’urgence et de solidarité internationale qui joue le rôle d’interface entre l’industrie et les associations humanitaires. Tulipe fédère les dons des entreprises de santé pour répondre, en urgence, aux besoins des populations en détresse, lors de crises sanitaires aiguës, de catastrophes naturelles ou de conflits. Alexandre Laridan, directeur opérationnel de Tulipe, nous fait pénétrer dans les coulisses de l’association qui a dépassé ses 40 années d’existence.
Économiste des pays du Sud de formation et spécialisé dans le développement international, Alexandre Laridan a collaboré pendant une douzaine d’années avec des ONG (Organisations Non Gouvernementales) principalement en Asie centrale : Afghanistan, Pakistan et Mongolie, pour saisir la réalité au plus près de l’action. Fort de son expérience de terrain, il rejoint l’association Tulipe en 2016 avec comme objectif de mettre en cohérence les dons de produits pharmaceutiques avec les besoins réels des populations en détresse.
En parallèle, et pour mieux comprendre ce qui distingue l’association Tulipe de l’éco-organisme Cyclamed, Thierry Moreau Defarges, président de Cyclamed, nous éclaire sur les différences et la complémentarité entre les 2 organismes.
Quelles sont les missions de l’association Tulipe et quelles ont été les grandes évolutions depuis sa création ?
Alexandre Laridan :
À l’origine, l’aide humanitaire se résumait à une poignée de médecins qui partaient dans des régions méconnues, armés de quelques cantines métalliques pour aider les populations en situation d’urgence. Avec les années et la demande grandissante, l’aide humanitaire s’est fortement structurée devenant de véritables « multinationales humanitaires ». Elles bénéficient désormais d’un cadre légal et des pratiques de distributions bien définies.
L’association Tulipe a naturellement évolué au même rythme que l’aide humanitaire pour devenir un établissement pharmaceutique structuré appliquant les réglementations internationales sur le médicament. Aujourd’hui, l’association envoie un peu plus de 150 tonnes de produits médicaux chaque année.
Ce qui est frappant, c’est l’évolution des méthodes employées pour soutenir les populations en détresse : auparavant, on débarquait dans les pays en voie de développement avec nos règles occidentales. Aujourd’hui, nous sommes dans une logique de collaboration avec les populations locales. Nos dons sont davantage en cohérence avec les besoins et nous accompagnons les autorités locales sur le terrain sans disruption.
Thierry Moreau Defarges :
Lors de sa création en 1993, Cyclamed avait une triple mission : préserver la sécurité sanitaire, protéger notre environnement et fournir des médicaments non utilisés à des ONG partenaires sous responsabilité pharmaceutique. Compte tenu des besoins et de la typologie des Médicaments périmés ou Non Utilisés (MNU), seule une petite quantité des MNU récupérés faisait l’objet d’une réutilisation dans les pays défavorisés.
De plus, nous avons rapidement constaté de nombreux écueils : médicaments et traitements pas toujours adaptés aux besoins, aux conditions de conservation et à la traçabilité inexistantes… Les exigences et la professionnalisation de l’aide humanitaire pour assurer la sécurité et la traçabilité des médicaments a mis fin à la redistribution des Médicaments Non Utilisés des particuliers. Depuis le 1er janvier 2009, tous les MNU sont exclusivement et obligatoirement valorisés énergétiquement pour éclairer et chauffer des milliers de logements. La récupération des MNU se fait dans toutes les pharmacies et de façon sécurisée. Elle est assurée dans le circuit professionnel pharmaceutique, dans le cadre de la tournée quotidienne de livraison de médicaments neufs par les grossistes-répartiteurs.
Dans le contexte d’un environnement politique et sanitaire international sans cesse bouleversé, notamment ces derniers mois, comment l’association Tulipe s’adapte-t-elle ?
Alexandre Laridan :
Rien que ces 2 dernières années, nous avons fait face à d’importantes urgences sanitaires. Je parle bien évidemment de Gaza, de l’Ukraine et plus récemment de Mayotte.
Si je dresse un bilan depuis le début de la guerre en Ukraine, nous avons multiplié par 3 nos dons en raison de la proximité géographique et logistique du pays. En effet, de nombreux donateurs américains souhaitaient contribuer. Seulement, nous avons des réflexes éco-responsables qui nous guident. Acheminer des médicaments des USA vers l’Ukraine est, en termes de coût et d’empreinte carbone, peu réaliste. Nous avons une responsabilité auprès des Ukrainiens du fait de notre proximité (Paris est à 24 heures de Kiev en camion), et de nos capacités de mise en œuvre. Aujourd’hui, plus de la moitié des dons de médicaments réalisés par Tulipe est destinée à l’Ukraine.
2 autres fronts nous mobilisent actuellement : Gaza, et plus récemment la Syrie. Ce pays, majoritairement fermé à l’aide humanitaire depuis plus de 13 ans, s’ouvre aujourd’hui et la demande en médicaments est forte. Par ailleurs, la récente trêve à Gaza marque le début d’une nouvelle phase qui génère une demande importante de la population Gazaouite. Pour faire face à ces sollicitations de plus en plus élevées, nous augmentons nos appels au don envers les entreprises et les laboratoires partenaires. Puis, nous procédons à des arbitrages en fonction des pays et du degré d’urgence.
Menez-vous une action particulière dans notre département de Mayotte actuellement, suite au cyclone dévastateur de Chido ?
Alexandre Laridan :
Par l’intermédiaire de l’ARS Mayotte (Agence Régionale de Santé), nous avons déjà envoyé 55 kits de santé (1 kit équivaut à 25 kg de produits destinés à environ 500 personnes) mais l’aide se poursuit et l’ARS Mayotte s’organise avec les associations présentes sur ce territoire pour venir en aide aux populations encore dans le besoin. Nous collaborons avec plusieurs ONG locales telles que l’Ordre de Malte ou la Sécurité civile et nous évaluons ensemble les actions qu’elles peuvent entreprendre.
Quel type de don acceptez-vous ?
Alexandre Laridan :
L’association Tulipe n’accepte pas les dons de Médicaments Non Utilisés (MNU) qui proviennent directement du grand public ni même par l’intermédiaire des pharmacies. En effet, depuis le 1er janvier 2009 et par décision des pouvoirs publics, la redistribution humanitaire des MNU est interdite en France et en Europe, suivant ainsi les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Seules les personnes morales peuvent faire des dons de médicaments à l’association Tulipe, c’est-à-dire les entreprises du médicament, les entreprises du dispositif médical ainsi que des entreprises de compléments alimentaires.
Cependant, depuis quelques années, l’association Tulipe accepte les excédents de médicaments issus de l’industrie pharmaceutique quels qu’ils soient. Lorsque les laboratoires pharmaceutiques souhaitent se séparer d’un lot, il est proposé à Tulipe avant d’être détruit. Cette évolution s’inscrit dans une logique d’éco-responsabilité et de cohérence avec les enjeux sociaux. Tulipe étudie chaque don de lots, et tente de le mettre en concordance avec les besoins des hôpitaux dans le monde entier.
Je remarque assez souvent que les personnes sont déçues de ne pas pouvoir donner aux populations en détresse leurs médicaments qu’ils n’utilisent plus ou qui sont périmés. En aucun cas, les pays du Sud ne devraient recevoir les « déchets » des pays du Nord. Notre association propose uniquement des produits neufs provenant de laboratoires certifiés, qui ont été contrôlés et dont les dates de péremption sont pertinentes. Les médicaments périmés ou non utilisés des patients doivent être rapportés à la pharmacie pour suivre le circuit Cyclamed.
Thierry Moreau Defarges :
Je constate que l’association Tulipe est confrontée aux mêmes interrogations des citoyens que notre éco-organisme : pourquoi les médicaments périmés ou non utilisés ne sont-ils pas envoyés aux populations qui en ont besoin ? Ces personnes ont un réflexe tout à fait louable, à savoir : si je n’en ai plus l’usage et que d’autres en ont besoin et qu’ils n’ont pas de moyens, mes MNU devraient leur être utiles. Cependant, il manque une « brique » essentielle dans cette réflexion : les médicaments ne sont pas des produits comme les autres. Il ne s’agit pas d’envoyer du shampooing ou des savonnettes. Acheminer des médicaments dans un pays étranger nécessite une sécurisation tout au long du parcours, un stockage particulier, des dates de péremption adaptées aux délais de transport… Sans compter que les MNU disponibles à un instant T ne correspondent pas nécessairement à la demande au moment des crises.
Désormais, les associations s’approvisionnent directement auprès des entreprises du médicament très engagées qui fournissent ainsi des médicaments neufs, dont les conditions de fabrication et de stockage respectent la qualité et la traçabilité imposées par la chaîne de distribution pharmaceutique.
En savoir plus sur l’association Tulipe : lire cet article